Zone de Texte:  Les nouveaux justiciers ou la "tolérance zéro"

Philippe Pemezec nous a récemment gratifié d’un tract-pétition particulièrement racoleur sur le thème de la« tolérance zéro ».

Notons au passage que dans ce tract on découvre une augmentation de 31% pour la délinquance au Plessis Robinson dont Monsieur Pemezec est maire. Ce qui permet raisonnablement de s’interroger sur ses compétences en matière de sécurité au moins au niveau local.

Au delà de ce tract, on note que ce discours d’origine américaine, fait aujourd’hui recette dans la classe politique. Comment et pourquoi ?

Les paragraphes qui suivent sont largement inspirés (pour ne pas dire extraits) de plusieurs articles du Monde Diplomatique. Mais pourquoi réécrire maladroitement ce qui l’a déjà été par d’autres bien plus talentueux…

Cette politique sécuritaire qui nous vient d’Amérique

Durant les années 60, la démographie pénitentiaire des Etats-Unis s'était orientée à la baisse jusqu’en 75 mais la courbe allait brusquement s'inverser puis s'envoler. Pour la décennie 90, le rythme de croissance des effectifs des personnes emprisonnées s'établit à 8 % par an. Ce phénomène est sans précédent dans une société démocratique, il vaut aux Etats-Unis de caracoler très loin devant les autres nations avancées puisque leur taux d'incarcération est de six à dix fois supérieur à ceux des pays de l'Union européenne. Mais ce « grand enfermement » ne donne pas une juste mesure de l'extraordinaire expansion de l'empire pénal américain. Du fait de l'impossibilité d'agrandir le parc carcéral suffisamment vite pour absorber l'afflux des condamnés, l'effectif des personnes tenues dans les antichambres de la prison a crû plus vite encore que celui des détenus qui croupissent entre ses murs. Il a presque quadruplé en seize ans. De sorte qu’en 90, on totalisait 5,4 millions d'Américains sous tutelle pénale, soit près de 5 % des hommes de plus de dix-huit ans.

L'Etat américain, qui ne cesse de réduire ses budgets sociaux, se montre d'une prodigalité éperdue quand il s'agit de contrôler et d'incarcérer ceux qu'il n'a voulu ni éduquer ni soigner, ceux qu'il n'a su ni loger ni nourrir. Au nom de la lutte contre l'« insécurité », la criminalisation des « classes dangereuses » suscite les clameurs approbatrices de ceux qui, au combat contre l'injustice, préfèrent désormais la rigueur du talion. Entre 1979 et 1990, les dépenses des Etats-Unis en matière carcérale se sont accrues de 325 % au titre du fonctionnement et de 612 % au chapitre de la construction. En période de pénurie fiscale, les Etats-Unis ont de facto choisi de construire pour leurs pauvres des maisons d'arrêt et de peine plutôt que des dispensaires, des garderies et des écoles.

Une autre conséquence de la politique de répression poursuivie par la police est l’engorgement inouï des tribunaux qu’elle a causée. A New-York, il est commun que, lors d’une audience, un juge examine jusqu’à mille cas dans la journée sans qu’aucun ne soit résolu.

Quand une théorie qui n’a pas vraiment fait ses preuves, est l’objet d’un tel battage médiatique et d’un tel consensus de part de la classe politique, on est en droit de se demander s’il n’y a pas de gros intérêts financiers et politiques en jeu…

A qui donc profite ce type de système ?

En premier lieu au gouvernement en place. En effet, le système pénal contribue directement à réguler le marché de l'emploi. Son effet est ici de comprimer artificiellement le niveau du chômage et secondairement, de faire gonfler l'emploi dans le secteur des biens et des services carcéraux. On estime ainsi que, durant la décennie 90, les prisons américaines ont enlevé deux points à l'indice du chômage américain. Une fois pris en compte les différentiels de taux d'incarcération des deux continents, contrairement à l'idée communément admise, les Etats-Unis ont affiché un taux de chômage supérieur à celui de l'Union européenne pendant dix-huit des vingt années passées.

En second lieu au secteur privé puisqu’à l'expansion sans précédent des activités carcérales de l'Etat américain s'ajoute le développement frénétique d'une industrie privée de l'emprisonnement. Née en 1983, celle-ci a déjà accaparé 5 % de la population carcérale. Forte d'un taux de croissance annuel de 45 %, sa part de marché a triplé. Depuis que certaines de ces entreprises se sont introduites en Bourse, l'industrie carcérale est l'un des chouchous de Wall Street.

En derniers lieux, les secteurs policiers et sécuritaires gagnent du pouvoir et de l’influence. Ils deviennent « intouchables ». Et de ce fait, les incidents avec la police se sont multipliés, le nombre des plaintes déposées à New York a brusquement augmenté de 60% entre 1992 et 1994 (La grande majorité de ces plaintes concernent des « incidents lors de patrouilles de routine »).

Développement de ces théories en Europe

C’est à grand renfort de forums et d’invitations que les Etats-Unis ont endoctriné certains acteurs-clef de la politique en Europe, introduisant ainsi un nouveau sens commun pénal visant à criminaliser la misère. Les mêmes qui hier militaient, en faveur du « moins d'Etat » pour ce qui relève des prérogatives du capital et de la « main d’œuvre » exigent aujourd'hui avec tout autant d'ardeur « plus d'Etat » pour masquer et contenir les conséquences délétères de la détérioration de la protection sociale. En commençant par la Grande-Bretagne, terre d'accueil et sas d'acclimatation de ces politiques en vue de la conquête de l'Europe : ce n'est pas une coïncidence si elle affiche à la fois le marché du travail le plus dérégulé, la croissance de la population carcérale la plus forte des grands pays d'Europe (+ 50 % en cinq ans) et la privatisation du système pénitentiaire la plus avancée.

On réalise que le but de cette propagande en Europe vise plus à gagner des parts de marché qu’à venir au secours des zones considérées « à risques ».

En France

C'est l'extrême droite qui a brandi la première le slogan de la « tolérance zéro », en militant pour une « politique de la répression, avec sanction immédiate ». Dix ans plus tard, le slogan a dépassé le périmètre de l'extrême droite pour devenir un sujet de choix au sein d’une droite musclée en campagne. Le RPR, nouveau croisé de la théorie, préconise, entre autres, d'abaisser de seize à treize ans l'âge à partir duquel un mineur peut être placé en détention provisoire. Il milite également pour qu’une sanction pénale puisse être appliquée aux jeunes délinquants dès l'âge de dix ans.

Le discours est désormais devenu si populaire qu’en France la sécurité a été promue priorité gouvernementale (mais seulement après avoir été réduite à la seule sécurité physique ou criminelle, arbitrairement débarrassée de la sécurité sociale, salariale, médicale ou éducative). Et c'est là le hic, le but de ces politiques répressives est purement électoral, il consiste à séduire les franges autoritaristes de l'électorat en réaffirmant au plan symbolique le rôle de l'État comme garant de l'ordre.

Alors ?!…

 « Tolérance zéro » ? Quand on sait qu’il existe très peu de structures adaptées pour accueillir les jeunes délinquants et que de les mettre en prison revient à en faire à court terme des individus bien plus dangereux n’est-on pas à l’opposé du but recherché ? Il est, certes, plus simple de réprimer que de s’attacher à éduquer, et pourtant, si demain on met en cellule chaque délinquant quel que soit son âge, que fera-t-il, à votre avis, quand il sortira dans un ou deux ans, armé d’un solide carnet d’adresses et d’une excellente expérience en inhumanité ?

« Tolérance zéro » ! Il s’agit donc de ne jamais fermer les yeux. Dans un souci d’équité les mouvements politiques ne devraient-ils pas commencer par appliquer ce beau concept à leurs dirigeants (délinquants en écharpe tricolore) qui eux, n’ont pas l’excuse de la misère et du désespoir. Ceux là ont largement l’âge et la culture requis pour être tenus pour entièrement responsables de leurs actes.

« Tolérance zéro ». Pour qui, pourquoi ? Le terme contient lui-même toutes ses insuffisances, la loi nécessite toujours un ajustement dans son application. Devra-t-on arrêter tous les  « délinquants » : les piétons qui traversent en dehors des passages protégés, les écoliers qui bravent l’école publique avec leurs médailles religieuses ou leurs voiles ostentatoires, remplira-t-on les pénitenciers des personnels à domicile ou de leurs employeurs qui travaillent et emploient sans contrats… ? Demandez-vous si demain, vous ne serez pas avec vos proches la victime d’un système trop répressif que vous aurez laissé s’installer ?

VV